En dépit d'une prise de conscience politique de la nécessité de le maintenir, le commerce de proximité en banlieue s’est considérablement dégradé avec l’augmentation du chômage. Si les qualités nécessaires pour être un bon commerçant demeurent, fondamentalement, les mêmes, il est vivement conseillé de prendre son temps pour comprendre le quartier où vous souhaitez vous installer. Ici, comme ailleurs, il existe des codes qu’il vaut mieux connaître.
La réflexion sur les commerces de quartier a évolué en 10 ans. Conscients du faible pouvoir d’achat et de la précarité économique de plus en plus grande de ses habitants, les acteurs concentrent, aujourd’hui, l’essentiel de leurs efforts sur la restauration et le maintien des structures existantes. L’exemple du centre commercial des 4000 à La Courneuve, qui vient de faire l’objet d’une requalification par l’Epareca, est révélateur.
“Il reste à peine 20 % de commerçants, raconte Pierre Boulier, son directeur général. nous devons donc réduire la taille des centres commerciaux, si nous voulons que tous puissent vivre correctement.” Priorité est donc donnée à la sauvegarde de l’existant, d’autant que la concurrence est rude. La part des biens alimentaires est passée de 33 % au début des années 60 à moins de 18 % à la fin de la dernière décennie. Victimes d’arbitrages défavorables au profit du logement ou des télécommunications, les commerces de proximité sont, en outre, confrontés à un faible pouvoir d’achat des populations, souvent défavorisées, qui y résident.
Beaucoup de ménages se tournent désormais vers les hypermarchés. Pour endiguer cette évasion commerciale, les supérettes, supermarchés ou les hard discounters paraissent, aujourd’hui, incontournables à la survie des petits commerces : “Les hypers sont nocifs, mais les hard discount, qui s’installent de plus en plus dans ces quartiers, sont plutôt une chance pour les indépendants, car ils ne vendent que de l’épicerie sèche”, considère Pierre Boulier.
Quel que soit le commerce, le danger est de se retrouver isolé : “Cela devient de plus en plus difficile pour les commerçants seuls en pied d’immeuble, avertit Isabelle Schlauder. Dans la majorité des cas, il est préférable de faire partie d’un petit pôle de proximité, tant du point de vue sécuritaire que de l’animation de l’espace public. Les marchés constituent, également, des atouts pour le commerce environnant.”
Reprendre un fonds dans un quartier difficile suppose de bien le connaître. Pour bien sentir les attentes de la clientèle, il faut y passer du temps pour comprendre son fonctionnement. Car ces quartiers ont des codes qu’il est indispensable d’assimiler très vite sous peine d’être stigmatisé. “Si l’on n’en est pas originaire, il est conseillé de prendre du temps pour observer, faire connaissance avec ses futurs voisins. Mais il faut avant tout avoir envie de s’y installer”, ajoute Isabelle Schlauder de la CCIP.
Il est, toutefois, essentiel de se faire respecter. Poser des limites dès votre installation est indispensable pour ne pas entrer dans un engrenage infernal : “Une dizaine de jeunes, âgés d’une vingtaine d’années, m’ont menacée dès mon arrivée prétextant que je n’étais pas du quartier, témoigne Madeleine Maufrais, qui a repris un café à Nanterre. C’était une façon de me tester. Je leur ai répondu que j’étais plus folle qu’eux pour rester ici ! Il faut user d’humour pour les tenir en respect."
Mais si devenir commerçant dans une banlieue sensible n’est pas une sinécure, la rentabilité est tout de même au rendez-vous : “Même si l’on gagne moins d’argent dans ces quartiers, il y a moyen de s’en sortir si le commerçant est bon, surtout s’il existe une association de détaillants”, affirme Isabelle Schlauder. Pour Alain Jary, boulanger dans une banlieue parisienne, c’est une erreur de penser qu’il n’y a pas de pouvoir d’achat : “Je suis dans un quartier où l’échec scolaire est massif, mais c’est une très grosse plaque tournante du shit. La pauvreté n’est pas présente…”